Du suaire de Turin
On m’a récemment pointé vers une page hébergeant un film dédié à l’étude du suaire de Turin. J’aimerais ici faire une analyse critique de certaines affirmations véhiculées sur cette page et par le film.
Ce qui semble sûr
- On a affaires à des marques de sang réelles et réalistes.
- L’image imprégnée est un négatif tridimensionnel d’une personne physique.
- L’image a été créée par une oxydation de la couche superficielle du tissu (brûlure légère).
- Les pollens dans le tissu montrent que le suaire a déjà été en Galilée (mais aussi ailleurs).
Ce qui semble moins sûr
- On prétend que le groupe sanguin de ces trois vieilles reliques est AB; or, après recherche, j’ai appris qu’il semblerait que tout type de sang «devient» AB en vieillissant, puisqu’il y a dégradation des anticorps associés, de sorte que les tests de groupe sanguin vont toujours faire ressortir «AB», même si le sang était d’un autre type à l’origine, puisqu’il n’y aura plus d’anticorps dans le sang à détecter… Il n’y aurait donc aucune assurance que le groupe sanguin de ces reliques soit vraiment AB, ni donc bien sûr qu’il s’agisse du même sang d’une relique à l’autre (d’autant plus qu’aucune analyse d’ADN n’a pu être effectuée).
- On n’a vraiment aucune idée de l’identité de la personne dont l’image est imprégnée (rien dans les faits ne permet de conclure que c’est Jésus ou un autre).
- En admettant que la datation au C14 effectuée en 1988 ne soit pas fiable, on ignore l’âge exact du suaire, bien qu’on sache qu’il date au plus du moyen-âge.
- On ne sait pas comment l’image a été faite.
Ce qui semble faux
- On prétend que chaque fois qu’une statue religieuse pleure ou suinte du sang, c’est un sang humain mâle de groupe AB et «à la configuration génétique unique». Pourtant, les cas rapportés sur Wikipedia soit n’ont pas été vérifiés, soit se sont révélés être des faux (auxquels on devrait ajouter le fameux cas de Sainte-Marthe en 1985) . Dans le film, on cite particulièrement le cas d’Alberobello dans les Pouilles, en Italie; or, non seulement il n’existe apparemment qu’un seul texte à ce sujet dupliqué sur plusieurs sites Internet (donc aucune référence scientifique officielle sur l’analyse d’ADN et aucune explication ni suivi de ce qu’est cette «configuration génétique unique» et en quoi elle consiste exactement), mais j’ai trouvé au moins une page qui affirme qu’il s’agirait une fois de plus d’un coup monté.
Ce que je n’ai pas aimé
Le film est complètement biaisé en faveur de l’authenticité du suaire: il n’aborde pas le sujet de manière neutre et impartiale:
- Le film coupe court au montage à tout discours sceptique, ce qui ne nous donne malheureusement pas les deux revers de la médaille.
- Pour l’histoire de la datation au C14, on donne quatre scnénarios mutuellement exclusifs pour la discréditer, à savoir:
- les 3 universités choisies pour effectuer la datation ont mal travaillé;
- les échantillons provenaient d’un bout rapiécé du suaire de sorte qu’il contenait des fibres plus récentes;
- la datation au C14 n’est pas adaptée à la datation des tissus;
- on a substitué des morceaux de tissus du moyen-âge aux échantillons du suaire.
Ce que je n’aime pas, c’est qu’on tente par tous les moyens de discréditer la datation: c’est clairement le seul but recherché, plutôt que de simplement soulever des faits avérés; ainsi, les thèses 1 et 4 ne sont que pures spéculations, et la thèse 3 n’est jamais expliquée; seule la thèse 2 est abordée vraiment sérieusement, mais en aucun cas on ne la «choisit» officiellement comme la bonne.
- Les dernières minutes du film ne sont pas du tout consacrées au suaire, mais bien seulement à un sermon religieux.
Ce que j’en pense
J’ai aussi ma foi, dictée par la froide et cruelle raison: je crois en le postulat d’objectivité de la nature, lequel a été formulé par Jacques Monod, récipiendaire du prix Nobel de médecine de 1965. Le postulat d’objectivité de la nature, c’est le principe selon lequel la nature n’est jamais sujette à la subjectivité de quelque volonté que ce soit (ce qui se vérifie statistiquement). Un corollaire de ce postulat, c’est qu’il n’y a pas — il n’y a jamais eu — de miracles.
Pas de miracles, ça veut dire que quoi que ce soit qui ait produit l’image du suaire, c’est nécessairement quelque chose de compréhensible et d’explicable avec les simples lois de la nature. On ne peut rejeter l’objet; on ne peut rejeter la nature de l’image; on ne peut rejeter la vieillesse certaine du suaire ni le paradoxe que cet âge semble créer avec nos connaissances actuelles quant aux techniques anciennes «d’imagerie». Oui, pour le moment, on est dans le brouillard. Mais…
Mais il n’y a pas encore si longtemps, les croyants associaient les crises d’épilepsie à des possessions démoniaques. Ils croyaient que les teintes rouges parfois créées par la bactérie Serratia marscescens sur les osties étaient des marques du sang du Christ et de la transsubstantiation. Ils croient que du sang coagulé qui se liquéfie relève du miracle et, comme dit plus tôt, que des statues peuvent pleurer du sang. Et j’en passe. La science avance, la science progresse: pendant que le savant trime dur pour comprendre la nature et ses «mystères», le croyant, lui, s’assoie sous son arbre et décide arbitrairement de comment la nature s’est faite. Combien de phénomènes autrefois considérés inexplicables sont aujourd’hui compris et maîtrisés? Bon sang: on vient de créer la première forme de vie artificielle et on arrive à téléporter de la lumière! C’est pas avec des prières qu’on en est arrivés là!
Dans un contexte où l’on sait que les Chrétiens sont sans doute les plus grands fraudeurs religieux de tous les temps, que croire? Qu’est-ce qui est le plus probable? Qu’il y a 2000 ans, un barbu a été dématérialisé dans une espèce de réaction nucléaire à l’intérieur d’une grotte et qu’on a en mains le tissu dans lequel il était, ou que quelqu’un, quelque part, à un moment donné, a été assez brillant pour créer une image dont on ignore encore la recette? Il y a plein de trucs extraordinaires qui ont été faits autrefois sans qu’on sache vraiment comment, ne serait-ce que les pyramides d’Égypte et Machu Picchu; mais la science travaille, cherche, et finit souvent par trouver après de durs efforts: elle ne reste pas assise sur son derrière à s’exclamer «c’est donc extraordinaire!», et elle ne se dit surtout pas que parce qu’aujourd’hui elle n’arrive pas à expliquer quelque chose, qu’elle n’y arrivera jamais. L’important, c’est de rester rationnel dans tout ça, de constater les succès incroyablement plus nombreux de la science que ceux de la religion, et d’avoir confiance en le génie humain…
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