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De l’ésotérisme juridique

Je sais, par expérience, que les gens qui n’ont pas de formation scientifique ont plus facilement tendance à croire à toutes sortes de choses, simplement parce que l’idée semble leur plaire (et j’admets d’emblée que, malheureusement, le phénomène existe aussi chez des scientifiques, mais, en me basant toujours sur mon expérience personnelle et d’autres données, je constate que c’est plus rare). Les scientifiques ont en principe développé un esprit critique objectif, et une approche rationnelle à l’interprétation des phénomènes observés. La méthode scientifique est simple, et comporte quatre étapes principales (si on omet la dernière étape de publication):

  1. observation d’un phénomène;
  2. émission d’hypothèses pour expliquer le phénomène;
  3. vérification des hypothèses (confirmation ou infirmation) par des moyens de preuves solides, comme une expérience aux résultats reproductibles;
  4. conclusion.

J’ai mis en gras la 3e étape, car c’est là où le bât blesse généralement: les gens sautent directement de l’étape 2 à l’étape 4. Exemple classique:

  1. j’ai vu un vase bouger tout seul;
  2. je pense que c’est un esprit qui a fait bouger le vase;
  3. donc c’est un esprit qui a fait bouger le vase.

Les gens ont peine à comprendre qu’on ne peut conclure sans preuve, qu’on ne peut décider qu’une hypothèse soit la bonne juste parce que, par exemple, on ne voit pas d’autre hypothèse que celle qu’on a formulée; sans preuve, on est dans le domaine de la foi, sans plus.

Je pensais que les idées frivoles et ésotériques issues de l’imagination fertile des humains se limitaient aux divers domaines étudiés par la science. On connaît les campagnes de certaines personnes contre la vaccination, les histoires sur l’origine du SIDA, ou encore la défense continue de la théorie de la terre plate, et j’en passe énormément, évidemment. Mais j’étais loin de me douter que ce genres d’élucubrations pouvaient aller… jusqu’au droit!

En effet, je viens de découvrir que des gens croient fortement que le système judiciaire peut être manipulé par l’emploi de certains codes et procédures secrètes, et qu’en connaissant les bonnes «formules», il serait possible d’éviter, par exemple, toute condamnation. Ces gens croient en l’existence d’une espèce de loi suprême, au-dessus des lois ordinaires, qu’ils peuvent invoquer pour contourner toute procédure judiciaire intentée contre eux. Ce mouvement aurait débuté aux États-Unis et comprend en fait un amalgame de deux mouvements idéologiques distincts, soit le «Mouvement de la Rédemption» (qui véhicule l’idée selon laquelle le gouvernement gère une identité juridique distincte (et un compte bancaire secret) pour chaque personne physique et qu’il est possible de les séparer l’une de l’autre et de prendre contrôle dudit compte bancaire) et le «Mouvement du citoyen souverain» (qui promeut l’idée que les lois sont illégales (!)), lesquels mouvements semblent parfois confondus (puisque les adeptes de l’un semblent généralement aussi adeptes de l’autre).

Dans les exemples québécois cités ci-dessus, les gens semblent croire qu’ils pourraient dissocier leur personne physique de leur personnalité juridique. Il est vrai que les deux concepts existent en droit, mais c’est bien mal comprendre le concept de personnalité juridique que de s’imaginer pouvoir contourner/tromper le système judiciaire en dissociant l’un de l’autre, ce qui n’est par ailleurs pas possible (en tout cas au Québec!). En effet, il ne faut pas aller loin dans le Code civil du Québec pour s’en convaincre:

1. Tout être humain possède la personnalité juridique; il a la pleine jouissance des droits civils.

Donc, dès qu’on est en présence d’un être humain (personne physique), pouf!, cette personne a automatiquement la personnalité juridique. That’s it. Fini. Pas moyen d’avoir l’un sans l’autre. Mme Lanctôt aura beau envoyer des lettres au Directeur de l’état civil pour se dissocier de son certificat de naissance, ça n’y fera rien; sa naissance n’aurait pas été enregistrée qu’elle n’aurait pas moins la personnalité juridique.

Ce que je trouve fascinant, c’est que, tout comme l’ignorance de la science et du milieu scientifique en général peut conduire à des croyances débridées, l’ignorance du droit et des procédures judiciaires peut conduire au même résultat: les gens se créent un univers imaginaire où les choses fonctionnent comme ils pensent, mais sans pourtant disposer d’aucune preuve étayant leurs croyances. J’avais une amie qui m’avait un jour obstiné comme c’est pas possible sur la façon dont un verrou à barillet fonctionne: il aura fallu que je lui montre un dictionnaire illustré pour qu’elle me croit, car elle s’était fait sa propre représentation du mécanisme, sans jamais vérifier ni se poser davantage de questions, mais pour elle c’était devenu une vérité absolue et irréfutable tellement elle y croyait. C’est vraiment étrange comment la foi peut naître de l’ignorance et posséder une personne, presque à son insu…

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